Auteur et crédits photographiques : Marina Chauliac, anthropologue

Photographies dans l’ordre: Balade urbaine au musée des confluences, balade urbaine de la centrale hydroélectrique de Cusset.

Pendant six mois environ, avec deux étudiants en Master d’anthropologie de Lyon 2 et stagiaires au CCO, Ludovica Bottiglieri et Alessandro Marinelli, j’observe les relations que les migrants nouvellement arrivés entretiennent avec le quartier et globalement la ville, notamment via des balades organisées pour les habitants du CAO. L’objectif est dans un premier temps de recueillir des photos et des informations sur le rapport aux lieux (déplacements, repères, pratiques…).

Les photos prises étaient avant tout tournées vers la nécessité de garder une trace personnelle de la balade, via des selfies ou des photos de compagnons de route: photos prises devant des monuments, des centres commerciaux… C’est aussi un moment de mise en scène de soi et d’interactions sociales qui renvoient autant aux codes culturels qu’aux rôles sociaux potentiellement changeants (touristes, migrants, chercheurs, amis…).

Pour les demandeurs d’asile, c’est l’occasion de se projeter dans un autre rapport à la ville: de visiter des lieux touristiques et découvrir des lieux non hostiles ou réservés aux consommateurs, alors que leur manque de ressource financière – 6,80 Euros leur sont accordés pour se nourrir et combler tous leurs autres besoins – les contraint souvent à demeurer à l’extérieur. On peut y lire les effets de la mondialisation, de l’hypermobilité autant que la segmentarisation et l’exclusion. Comme le rappelle Rachel Thomas, « selon leur mode d’investissement et de fréquentation, les lieux permettent (ou à l’inverse rendent problématiques) certains registres d’actions ». (Thomas 2007) Regarder un match de football devient, par exemple, une véritable gageure quand il s’agit de trouver un endroit où la consommation d’un simple café autorise à demeurer pendant toute la durée du match.

S’ouvre une autre lecture du Carré de Soie et de l’agglomération, tournée vers la nécessité de trouver des endroits où bénéficier d’une connexion wifi, de se repérer avec quelques numéros de bus pour trouver son chemin vers la préfecture, le cabinet médical, la mosquée ou le marché… La plupart des personnes que nous avons accompagnées ne lisait pas de carte et a du trouver d’autres moyens pour se repérer. Le manque de maîtrise du français, de l’anglais ou l’analphabétisme deviennent alors un nouvel obstacle à surmonter.

Comme le montre le film « Quelqu’un avec qui cheminer », les pratiques du quartier et les souvenirs récents de l’arrivée, quelques mois plus tôt, peuvent également laisser place aux représentations passées lorsque, lors d’une balade, des souvenirs anciens d’autres lieux habités, traversés… recouvrent les lieux d’un nouveau sens: un canal devient la mer Méditerranée traversée sur un canot pneumatique, un immeuble en construction rappelle un chantier en Algérie dirigé par des Chinois puis le lieu d’un traumatisme : l’emprisonnement en Libye et la fuite. La trace disparaît mais le lieu devient un écran de projection de l’ailleurs.