Crédits photographiques : Matilde Carbajo Usano

Petite Cité Tase : à droite et à gauche le chemin est parsemé jusqu’à l’horizon de jardins et les vergers. Un endroit qui change, qui se développe, qui se construit. 

Le quartier de l’Autre Soie : des poules au milieu d’un projet urbain.

Lorsque l’on travaille sur le quartier, on doit toujours se confronter à des questions en rapport avec le monde urbain, la ville et les formes urbaines d’habitation. Lorsque j’arrive sur le terrain j’observe  et je me met à l’écoute de tout cet environnement. Cela commence par le trajet en métro, le bruit des voitures qui m’entourent, les discussions entre les ouvriers qui s’occupent de la construction des nouveaux immeubles, la vue des femmes qui remontent les rues avec leurs sacs de légumes qu’elles ont acheté au supermarché, ou encore celle des voitures garées à droite et à gauche … Lors mes premiers terrains j’avais ainsi pu noter dans mon journal de terrain cette phrase : « je me sens dans la ville ». Retrouvant ce ressenti dans la parole des habitants je me suis alors penchée sur cet aspect.

Lors de notre première balade en octobre dernier, à la rencontre du reste du groupe, Yanis et Vladimir ont dit : « nous avons vu une poule qui marchait sur la route ». Cela nous avait marqué.  Une poule ? en ville ? Ce n’est pas le seul moment où je fus étonnée de la sorte sur le terrain. Les vergers dans la Petit Cité Tase, ou encore l’odeur des plats fait-maison dans les entourages de la Boule en Soie… « je me sens à la campagne », ai-je noté dans mon carnet de terrain.

Ce ressenti personnel je l’ai retrouvé en interrogeant les habitants du quartier. Lors des enquêtes, les habitants m’ont révélé se sentir un peu à la campagne lorsqu’ils remontent la Rue de la Poudrette où à travers les maisons, les vergers et les jardins de la partie sud se dégage une certaine tranquillité.

Petite Cité Tase ; verger « urbain ? » dans le jardin d’un des voisins.

L’attachement au parc boisé du Foyer Jeanne d’Arc par les habitants du quartier : un espace investi par les habitants entre nature et urbanité

L’opposition ville-campagne n’est aujourd’hui pas toujours si identifiable. Les frontières entre ces deux espaces sont brouillées et des éléments urbains se retrouvent à la campagne et inversement. En effet, dans le quartier certains affirment : « je me sens dans la ville et, au même temps, dans la campagne ». A travers ce terrain, je trouve un exemple vivant de la rupture de cette opposition ville-campagne que des chercheurs tels que Philippe Descola (2015) et Michel Lussault (2007) avaient évoquée.

Cependant une autre sensation m’est apparu lors de ma visite dans le  parc boisé du Foyer Jeanne d’Arc, à côté du bâtiment aussi connu comme l’ancien Foyer Jeanne d’arc ou ancien IUFM et actuellement lieu de résidence de l’Occupation Temporaire du projet l’Autre Soie.

L’endroit, une petite « forêt » installée sur un espace carré dans l’arrière du bâtiment est défini comme un « parc sauvage et méconnu » lors de la visite théâtralisée de l’Autre Soie du 15 Septembre 2018 organisée par le CCO et les associations Vive la Tase ! et Silk me back, à laquelle j’ai assisté. Durant cette visite, je pouvais entendre les oiseaux chanter comme à la campagne, et en même temps, les sons de la ville s’infiltraient dans mon parcours : le bruit des lycéens en train de faire du sport en face de moi, les klaxon des voitures et le grincement des grues aux chantiers dans la rue à droite. Pourtant je ne savais discerner où commençait la ville et où s’arrêtait la campagne.

Parc boisé de l’ancien foyer Jeanne d’Arc ;  Panneau informatif « urbanbees ».

J’aimerais revenir sur ces deux termes utilisés par le guide de la visite pour définir cet espace : « sauvage » et « méconnu ». Ils qualifient un endroit non familier, un endroit mystérieux ou encore un endroit dit « non civilisé ». En effet, un des habitants du quartier, Monsieur F. P., que j’ai rencontré lors d’une de mes journées de terrain en décembre, l’a évoqué avec ces mots : « Il y a rien là-dedans […] on peut pas y rentrer ».

Parc boisé de l’ancien foyer Jeanne d’Arc. « il y a rien là-dedans […] on peut pas y rentrer » 

Ce lieu qui apparait comme « vide », peut-il alors être associé à un terrain vague, selon la définition que lui donne Ignasi de Solà-Morales : « un endroit étrange au système urbain (rappelons-nous qu’urbain n’est pas opposé à rural mais tout au contraire), une extension mentale dans l’intérieur physique » (Solà-Morales 2002). Solà Morales parle donc de terrain vague en reprenant la notion de vide. Dans l’étymologie du mot vague, il y a cette absence d’usage, d’activité. On retrouve aussi dans la figure de la vague une idée d’espoir de promesse, de liberté.

Lors les ateliers de concertation à l’Autre Soie, où les habitants du quartier peuvent parler de ce qu’ils envisagent pour le futur quartier est apparu ce désir de réaménager le parc  dans le sens d’en faire un jardin/parc public. Il s’agit alors de réapproprier le lieu afin qu’il corresponde aux définitions communes d’un parc : un « espace vert » ou encore « espace naturel », qui aide à « faire respirer » tel que cela a pu être décrit par un des anciens habitants – anonyme avec lequel j’ai disputé au métro en arrivant sur le terrain en novembre –  qui avait connu l’existence de cet espace vert avant qu’il ne soit abandonné.

Il est alors intéressant de se questionner, à ce moment de l’enquête, à propos de cet espace « sauvage » et « méconnu ». En quoi ce dernier ne peut-il pas être définit comme un parc ou du moins un endroit vert ou encore “naturel” ? Ne fait-il pas déjà déjà respirer le quartier aujourd’hui par le fait que la végétation y ait repris ces droits ? Cet endroit-là est décrit par les habitants comme un lieu hors de l’urbanité et hors de la nature. Il est pertinent de noter que le terme français de terrain vague se caractérise par un manque d’urbain, nous pourrions dire un vide d’urbanité. Le terme espagnol de descampado, évoque plutôtle manque par la naturalité et non du lieu puisque descampado littéralement signifie un « no campo », un « non nature ». C’est dans ce sens que l’ancien habitant exprimait sa volonté de faire respirer le quartier avec un parc réaménagé, il voulait alors ramener de la nature et non du construit dans cet espace.

Parc boisé de l’ancien foyer Jeanne d’Arc, (ancien) terrain de foot.

Là apparaissent les limites des parcs urbains. Ces derniers ne sont pas investis par les mêmes personnes selon les temporalités. Alors qu’à la sortie des écoles ou les mercredis après-midi, ces derniers vont être des lieux de sociabilité, de jeux, de réunion entre amis ou en famille, en début de soirée ces parcs peuvent retrouver leur définition hostile et dangereuse. C’est en cela que la plupart des parcs sont fermés la nuit, tels que celui de La Tête d’Or (6ème arrondissement lyonnais) ou du parc Blandan (7ème arrondissement).

De plus, certains espaces verts non aménagés sont appropriés tels des parcs par les habitants des quartiers. C’est notamment le cas de nombreux petits gazons qui deviennent des terrains de football, ou des lieux de pique-nique.

Tous ces éléments nous révèlent que ce sont les usages et les représentations des espaces qui les construisent. Les pratiques, les bricolages, les habitudes quotidiennes font la ville et les espaces comme a pu le montrer Michel de Certeau (1994).

Il y a de nombreux éléments dans le quartier qui dévoilent ces espaces « non réglés » comme transformés, réinvestis, réappropriés par la créativité de ses habitants. Cela se retrouve par exemple, dans l’occupation temporaire de l’ancien Foyer  Jeanne d’Arc et la volonté des artistes et associations s’y trouvant, d’interagir avec les habitants et de les impliquer dans le futur projet urbain.

Références

LUSSAULT, M. 2007 : L’homme spatial. La construction sociale de l’espace humain. Seuil. Paris.

DESCOLA, P. 2015 : Par-delà nature et culture. Gallimard, Paris.

SOLÁ-MORALES, I. 2002: Territorios. Editorial Gustavo Gil, Barcelona.

DE CERTEAU, M. 1994 : L’invention du quotidien, II. Gallimard, Paris.

Matilde Carbajo Usano

Matilde Carbajo Usano