En vue de l’exposition Trêves, Céline Fabre, stagiaire au sein de la recherche-action Palimpseste, rencontre les membres de l’occupation temporaire au CCO La Rayonne. Cette série d’entretiens nous offre un aperçu des différentes personnalités qui fréquentent ce lieu atypique.

Rien ne se perd, tout se surcycle…

Jesse est artiste. Son atelier donne sur le parc de la Rayonne, et peut donner une impression de bazar, la première fois qu’on y entre. Je l’ai découvert à l’occasion d’un café-rencontre ayant pour but de réunir différents membres de l’occupation temporaire. Jesse en a profité pour nous présenter certaines de ses créations en matériaux recyclés : une table faite de carton imbibé de plâtre, des sacs en tuyau goutte à goutte… Tout cela me donne envie d’en savoir plus et je décide d’organiser un entretien afin de mieux la connaître et de l’interroger sur son expérience à la Rayonne.

Céline Fabre: Je ne sais pas si tu veux que je donne ton nom de famille dans l’interview?

Jesse : Juste Jesse c’est bon.

C.F: Pour commencer, j’aimerais que tu nous parle un petit peu de toi, d’où viens tu, comment en es-tu venue, petit à petit, à devenir une artiste?

C’est un parcours qui ne semble pas forcément cohérent. Mes parents viennent d’Angleterre, je suis née là bas et ca fait maintenant 20 ans que je suis en France. Mon père était architecte, ma mère styliste de mode. J’ai grandi dans un environnement où j’ai très vite appris à coudre, à travailler le bois, avec principalement les chutes de leur productions. Donc il y avait déjà un petit peu l’idée de récupérer et d’en faire quelque chose. Après mon bac, j’avais envie de me sentir utile, mais en même temps j’étais un peu perdue. J’ai trouvé une école d’ingénieur dans le domaine du développement international orienté vers la gestion de l’environnement et l’agronomie. Pendant ces 5 ans je me suis plutôt tournée vers tout ce qui est gestion de l’eau, gestion de l’environnement. Ensuite j’ai été amenée à travailler dans différents pays, en Afrique, en Amérique du sud, dans des ONG et autres structures…

En travaillant sur la thématique de l’eau et de l’agriculture, j’ai beaucoup été confrontée à la problématique des déchets. Petit à petit je me suis orientée vers la gestion des ordures, comment trouver des solutions alternatives à ce qui se fait aujourd’hui dans le recyclage classique. Et comment utiliser ça comme un moyen de sensibiliser, de faire se rendre compte de l’ampleur du problème. J’ai observé plein de situations différentes, par exemple au Burkina Faso où tout a une certaine valeur parce qu’il y a très peu de matières : on réutilise tout, une palette, un bout de carton. Et d’autres endroits comme le Mexique où la consommation est plus ou moins basée sur celle des Etats Unis, alors qu’il n’y a pas du tout de système de collecte, de déchèterie, de recyclage et tout ça. Et enfin, le cas que l’on trouve chez nous, où on ne se rend même plus compte de la quantité de déchets qu’on produit parce que c’est si vite caché, si vite enlevé, si vite collecté. C’est comme ça que j’ai eu cette envie de faire à la fois quelque chose de manuel et dans ce domaine là. J’ai donc travaillé en France dans la gestion des déchets, dans les quartiers prioritaires avec des bailleurs sociaux et en parallèle, j’ai créé mon entreprise de création artisanale

C.F : Qui s’appelle?

J : Jesse Wellard (rires). C’est enregistré à la chambre des métiers sous ce nom, sur les réseaux c’est jw Upcycled Designs.

C.F : Du coup tu as devancé ma prochaine question concernant l’arrivée de cette conscience du recyclage dans ton travail. C’est plutôt ça qui a déclenché ton entrée dans le monde de l’art…

J : Oui, c’est ce qui a fait que je me suis lancée dans tout ce qui était création artisanale.

 

C.F : Tu as pris confiance assez vite dans ce domaine? Parce que ce n’était pas vraiment ton terrain à la base.

J : Ce n’était pas mon domaine mais depuis que je suis toute petite j’ai baigné là dedans et j’ai appris. Ca m’a donné cette confiance d’être un peu autodidacte et de tester des choses parce que je savais déjà utiliser certains outils. Après, il fallait aussi s’adapter, dans la récup les matériaux c’est pas forcément des trucs tout beaux tout lisses…

C.F : Tu te souviens de la première fois que tu es entrée dans la Rayonne? Quel rapport est-ce que tu entretiens avec ce lieu?

J : Je n’avais pas vu le lieu avant de postuler, seulement en photo. Une fois que j’ai été sélectionnée, il y a eu une première rencontre sur place avec une partie des occupants, bien avant qu’on s’installe, en octobre 2018. Je ne me souviens pas bien de l’impression, mais en tout cas, par rapport aux photos que j’avais vues, je me disais que c’était quand même encore plus grand, les plafonds, les grandes fenêtres et puis la Rotonde (ndlr: salle centrale de la Rayonne). J’avais trouvé ça super chouette.

C.F : Est-ce que le caractère patrimonial du lieu t’inspire dans ton travail?

J : Je trouve que l’histoire est inspirante, intéressante. Après, concrètement dans ce que je fais au jour le jour, le lieu ne m’inspire pas forcément. Mais en tout cas je préfère être dans un bâtiment qui a de l’histoire que dans un espace qui n’a pas de caractère. Ce qui est sûr c’est que ça a un impact sur mon humeur et ma manière d’être.

C.F : Tu animes des ateliers de surcyclage au sein de la Rayonne. Comment se passent ces échanges avec les participants aux ateliers? C’était ton idée?

J : Dans le cadre des actions du CCO, il y avait déjà l’idée de faire quelque chose sur le thème du surcyclage. On m’a proposé et j’ai trouvé ça chouette, le fait que ca soit à côté de mon espace de travail me permet d’amener des matières, des outils. C’est intéressant d’avoir un groupe qui reste fixe sur le semestre, de janvier à juin, ça permet une sorte d’évolution et d’apprentissage des participants. On a commencé avec des choses plutôt simples et maintenant on est sur des projets qui se font en plusieurs séances. J’avais déjà encadré des ateliers dans différents contextes avec des enfants, des adultes, mais là comme ce n’est pas seulement ponctuel il y a plus de liens qui se tissent, les gens sont plus à l’aise entre eux et avec moi.

C.F : Et avec les autres occupants de la Rayonne, est-ce que vous vous côtoyez?

J : Je suis vraiment arrivée en janvier donc au début on croise beaucoup les gens sans forcément savoir de quelle structure ils sont, qu’est-ce qu’ils font et ca a mis quelques mois avant d’avoir plus de relations, si ce n’est ceux avec qui je partage l’atelier. Mais par exemple avec Malacou (artisan ferronier, ndlr), il m’a appris à souder, on se prête des outils…Et puis après il y a d’autres structures comme le Raffut (incubateur pour les artisans d’art et les créateurs), c’est avec eux qu’on a organisé la dernière expo au mois d’avril. Il commence à y avoir de plus en plus d’interactions, cette semaine aussi, un atelier avec E-graine pour leur festival.

 Si la Rayonne était une oeuvre d’art ce serait quoi?

 Un jardin des plantes.

Si la Rayonne était un plat?

Un couscous. Pour le mélange.

Si la Rayonne était une technique de surcyclage?

Je dirais presque que ce lieu est du surcyclage en soi parce que c’est quelque chose d’ancien qu’on réutilise. Justement, dans le surcyclage on fait beaucoup de tests, on essaye beaucoup de choses, on expérimente, donc ce serait ça la Rayonne, de l’expérimentation.