Entre Soie et avec les autres. Usages et voisinage d’un quartier en transformation

 

L’enquête Anthropologique

 

« …bonjour madame, on est des étudiants en Anthropologie de l’Université de Lyon 2, en fait on fait une enquête Anthropologique autour du quartier, est ce que vous voulez bien discuter avec nous quelques minutes ? »

« Euh oui oui je veux bien, par contre, c’est quoi ce que vous faites comme études ? Anthropologie ? et vous cherchez quoi ici ? »

(Début d’un entretien effectué dans le cadre de notre enquête. Rencontre d’une habitante du quartier lors d’une des Journées de Terrain. Novembre 2018).

 

Qu’est-ce que c’est l’Anthropologie ? Que cherche l’anthropologue et quelles sont des questions qui nous ont été souvent posées lors du déroulement de notre enquête. La connaissance anthropologique, bien entendu, n’est pas quelque chose qui préexiste au terrain, mais se construit avec et par la propre démarche ainsi que les chemins par lesquels le chercheur décide de s’aventurer. Pour faire cela, l’anthropologue doit s’approprier une méthode (l’ensemble des procédures spécifiques à une recherche) et diverses techniques (outils premiers de cueillette des données de types divers). Il ne faut cependant pas confondre ces techniques avec les instruments matériels que le chercheur peut manipuler. (Genest 1979).

Notre enquête a commencé par la pré-enquête, le démarrage du terrain, quand tout commence à se dessiner. La journée de rencontre avec le partenaire, le CCO, le 25 Octobre 2018, a été le coup de feu de départ de notre enquête. Lilie Fréchuret (médiation Palimpseste) et Fernanda Leite (directrice du CCO) entre autres ont reçu l’équipe d’étudiants et les professeurs du lyon 2 : Olivier Givre et Marina Chauliac.

C’est à travers ce rencontre et une première balade que l’on a eu les premières pistes du terrain en inaugurant la période de la pré-enquête : les observations, ressentis, impressions etc., la première collecte des données et les premières lectures ont été la basse pour la construction du plan à suivre. “Faire la ville”, la “fabriquer” et “l’habiter” ont été les trois notions essentielles que nous avons pu nous approprier lors de nos recherches bibliographiques et réunions. Les trois sous-équipes de recherche formés (Quartier, CHU et Occupation Temporaire), chacun a adapté la démarche à ses besoins, envies et lignes de recherche.

Chez l’équipe destiné au travail sur le quartier, le travail a commencé par « l’observation flottante ». Cette technique permet de saisir l’objet d’étude d’une façon très ouverte et générale : on ne savait pas ce que l’on va interroger. On laissait les choses apparaitre. Lors des balades en tant qu’observateur, on ne s’en servait que des yeux, mais aussi des autres sens comme l’oreille, étant le son un des éléments les plus parlants pour découvrir le quartier Carré de Soie.

Comme des bonnes anthropologues, on portait toujours une caméra (souvent nos téléphones) et un cahier destiné à être le support pour le journal de terrain. Ces instruments permettent ce que l’on appelle « l’observation diffuse » : on note tout, on décrit sans réfléchir avec le postulat de « tout est bon à prendre ». Ces descriptions ne se faisaient pas toujours sur place, mais souvent après les journées de terrain, dans la tranquillité, chez nous. C’est en relisant la description qu’on en arrivait à la connaissance.

Les visites réitérées au sein du quartier ont été  la clé pour faire du terrain. Plus l’universel cognitive est familier, plus le regard est avisé, c’est pourquoi les anthropologues tendent à faire une immersion totale (s’installer et habiter sur place). Mais pour faire un bon terrain, connaitre l’univers de l’anthropologue n’est pas suffisant, il faut appréhender celui des autres. Pour en faire, on a réalisé des entretiens, parfois enregistrés, avec des personnes présentes sur place. Parfois, ces entretiens s’effectuent lors d’une simple rencontre mais dans la plupart de cas, les personnes interviewés étaient dans des endroits significatifs du quartier comme l’épicerie des produits exotiques, le kebab, le lycée, la petite cité TASE… Pour des questions pratiques et de faisabilité, les entretiens ne durent pas plus de 10 minutes et suivent un fil directeur dessiné par une grille d’entretien.  Pourtant ils se sont faits sous la forme de conversations normales et donc une certaine flexibilité était possible.

Travailler à deux dans le déroulement de l’étude du quartier à été, à mon avis, une grande réussite. Le tandem entre moi (récemment arrivée en France à l’époque) et ma collègue (originaire de la région) à mis en jeux une complémentarité entre deux points de vue de l’anthropologie : le dépaysement (conduire une enquête dans un milieu différent de son milieu d’origine ajoutait un caractère supplémentaire de fiabilité aux résultats du travail (Genest 1979)) et la familiarité avec l’univers de recherche, qui est dit par certains d’être le seul efficace (Genest 1979). De la même façon, l’équilibre entre la nouveauté de notre terrain et son inscription à un contexte plus large était donné par les lectures bibliographiques d’autre études anthropologiques mènes dans des contextes similaires, comme ceux de Bianca Botea à la Duchère. (Botea, 2014).

Bien que le déroulement de l’enquête anthropologique ait été satisfaisant, il a supposé pour moi un temps d’apprentissage de la praxis en faisant de la recherche anthropologique, dans ce sens, les faiblesses de la démarche ont été plus instructives que les réussites. Ainsi, lors du déroulement de la première partie d’enquête terrain j’ai énormément ignoré l’importance du journal de terrain. Étant donné la quantité de photos, entretiens enregistrés etc. que on avait fait dans un premier temps et vu que, comme je me disais, « je travaille sur un quartier, c’est quelque chose de l’urbain, c’est partout pareil » je n’ai presque nourri mon cahier de terrain, la description étant quasi complètement absente. Étant consciente de l’importance de cet outil j’ai décidé de nourrir, après chaque journée de terrain, le journal. J’ai été très surprise quand, en lisant mes notes de terrain, j’ai trouvé des problématiques vraiment intéressantes que je n’avais pas remarqué étant sur place.Je reviendrais par la suite sur la question – autour de la sécurité et qu’est-ce que c’est de se sentir en sécurité –. La quantité des donnés récoltés à la suite de l’usage exhaustif du journal de terrain s’est multiplié exponentiellement. La difficulté de gérer tous ces données et informations est alors devenu évidente. Je tiens en compte aussi cette dimension de l’enquête qu’est la classification, catégorisation et préparation des donnés générés.

Se sentir en (in)sécurité 

Ce questionnement est ressorti lors de la réflexion a posteriori du journal de terrain. La lecture successive de mes notes m’a fait me rendre compte qu’un des enjeux principaux du quartier de Carré de Soie est la sécurité, ou, plus précisément, le sentiment de sécurité. J’avais fait des nombreuses descriptions du quartier où ils se trouvent les mots « grillage », « chaines », « caméras de vigilance », « portes fermés », « rideaux fermés », « clôtures opaques » … ce climat d’insécurité, ce sentiment de danger, je l’ai retrouvé chez les personnes que j’ai enquêté :

 « on habite bien eh, je n’ai jamais entendu des histoires » « c’est bizarre de ne se sentir pas en sécurité quand il n’y a pas des problèmes »

 Voisin du quartier

« Il n’y avait pas de grillages avant, eh, c’était les familles [hébergés au CHU] qui ont demandé les grillages en raison de sécurité »

Service Alynea

«…je crois qu’ils hébergent aussi les gens qui viennent de Roumanie, parce que là on voit qu’ils sont là mais on a peur de passer parce qu’on sait pas s’ils vont nous faire quelque chose, des fois je passe mais je regarde pas pour si ça se passe pas »

 Travailleuse dans l’épicerie exotique du quartier

 

Matilde Carbajo Usano

Bibliographie

BOTEA, B. 2014 :« Expérience du changement et attachements. Réaménagement urbain dans un quartier lyonnais (La Duchère) », Ethnologie française, n°3, vol. 44, p. 461-467

GENEST, S. 1979 : « Recherche anthropologique : techniques et méthodes ». En VVAA : Perspectives anthropologiques. Un collectif d’anthropologues québécois. Cap 19 : 333 – 344. Montréal : Les Éditions du Renouveau pédagogique. 436 ppp.