En vue de l’exposition Trêves, Céline Fabre, stagiaire au sein de la recherche-action Palimpseste, rencontre les membres de l’occupation temporaire au CCO La Rayonne. Cette série d’entretiens nous offre un aperçu des différentes personnalités qui fréquentent ce lieu atypique.

Agnès en pleine action à l’atelier surcyclage

J’ai rencontré Marie-Christine et Agnès lors de l’atelier surcyclage organisé par Jesse tous les après midis du vendredi à la Rayonne. Quand j’ai décidé de les interviewer, je ne m’attendais pas à ce que notre discussion mène à des sujets aussi brûlants que l’engagement politique, le vivre ensemble et la crise écologique. Voici un aperçu de ce qui peut se raconter, entre les murs de la Rayonne, quand la parole se libère.

C.F : Je m’interroge beaucoup sur comment les occupants et les participants aux ateliers vivent l’occupation temporaire. Pour commencer, j’aimerais savoir quelle a été votre première rencontre avec ce lieu.

Agnès : Je me suis intéressée au CCO La Rayonne parce que c’est le quartier où j’habite. Je connaissais déjà le CCO Jean Pierre Lachaize (voir historique CCO p6) pour son action sur le quartier, sur les jeunes, pour le multiculturalisme. Le fait que le projet s’installe ici l’année dernière m’a interpellée même si au début, lors du festival Mémoire Vive de 2018, je me suis dit que c’était trop bobo, je ne m’y retrouvais pas du tout. Puis je suis tombée sur l’atelier de surcyclage, c’est comme ça que je suis entrée au CCO au mois de mars. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, l’économie d’énergie, réduire sa consommation dans tous les domaines…

Marie-Christine : Comme Agnès, je connaissais le centre Jean-Pierre Lachaize, un lieu pour rencontrer les gens du quartier, accueillir des gens très différents, avec des soucis très différents pour porter et construire une parole. Le centre s’est déplacé après, et j’ai suivi les nouveaux projets. Audioscope, par exemple, raconte l’histoire des demandeurs d’asile : chacun choisissait une chanson originaire de son pays pour l’enregistrer sur une platine. J’ai perçu alors une continuité avec leur engagement politique auquel je suis attachée.

C.F : Et toi tu n’as pas eu cette impression de festival “bobo”, lors du festival de l’année dernière?

M-C : Non, moi je me suis plutôt dit qu’on avait perdu le côté politique, c’était devenu un lieu trop culturel pour moi, mais en même temps si on écoute bien et qu’on fait très attention, on y construit quand même des choses. Au festival Mémoire Vive de cette année, par exemple, il y avait un atelier d’architecture, des rencontres canapés (petits cycles de conférences, ndlr) sur le thème de la ville normative. J’ai trouvé ce thème passionnant pour recréer du lien.

C.F :  Quelles ont été vos premières impressions en arrivant dans ce bâtiment?

A : C’est un lieu qui était abandonné, moi ça fait des années que je passais devant, j’ai connu l’IUFM. Petit à petit on a vu le bâtiment se déliter, je trouvais ça catastrophique, je ne savais pas qu’il y avait un parc derrière. C’est super que ce projet soit arrivé.

M-C : Ce qui m’a étonnée à la Rayonne, c’est son histoire, qui est très chargée (voir frise page 5). C’est le parc, surtout, qui m’a plu. Il permet un réel temps de respiration auquel je suis très sensible.

C.F : Est-ce que vous trouvez que le CCO La Rayonne et son occupation temporaire s’intègrent bien dans le quartier?

A : C’est un lieu solidaire, un lieu vivant qui permettrait de faire le lien entre le Carré de soie, très urbain, et le quartier de Bel-Air les Brosses. Mais en tant que membre du conseil de quartier des Brosses, j’aimerais que le CCO arrive vraiment à travailler avec les habitants et au tout début, je trouvais que le lien ne se faisait pas. Puis j’ai vu que Mémoire Vive était ouvert à des types de publics très différents : GEM envol a participé, le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale), des gens du CHU (Centre d’Hébergement d’Urgence) d’à côté…il y a quand même un vrai effort de respect des différences de chacun.

M-C : Personnellement, je ne trouve pas qu’il y ait une continuité entre le quartier et la Rayonne. Je trouve qu’il y a toujours d’un côté la “ville nouvelle” et de l’autre la “ville ancienne”. C’est très long d’installer quelque chose de nouveau. Cela commence petit à petit, ce n’est pas si facile, en raison des baisses financières. Une grande compétence diplomatique de la part de la directrice Fernanda et son équipe est exigée pour recréer du lien politique afin que le projet perdure. Ce lieu est un moyen de creuser notre pensée via des trésors d’inventivité pour approfondir notre réflexion politique.

A : C’est un lieu où on peut faire bouger les choses.

M-C : C’est pour ça que je trouve que l’équipe est très importante. Tu ne trouves pas qu’en deux ans, une certaine confiance s’est établie?

A : Dans l’atelier ça n’a pris que deux mois! Pourtant, quand je suis arrivée je ne savais pas trop où je mettais les pieds.

Marie-Christine, lors d’un atelier à la Rayonne

C.F : Avec tout ce que vous avez dit, j’aimerais qu’on réfléchisse à ce qu’il serait bon de garder de l’occupation temporaire pour le projet de l’Autre Soie.

A : Ce que j’aime actuellement c’est le côté un peu friche, mais tout de même organisée. Avec des gens super intéressants et des gens qui ont vraiment conscience de l’importance de l’environnement, de l’espace vert et du rapport à l’autre.

M-C : Je me demande si le CCO est amené à être une forme nouvelle d’entreprise culturelle. On sent qu’il y a des balbutiements qui commencent à bouillonner. En soixante ans, on a bousillé la planète parce que le politique s’est laissé supplanter par l’économie. Il faudra plusieurs générations pour inverser les rôles et résoudre le problème numéro un qui est en fait l’eau.

A : Je pense que si on veut s’en sortir, des centres comme ça, des lieux d’échange, de coups de main peuvent être très intéressants. Là on est dans un monde où dans 12 ans il sera trop tard, une fois l’effondrement enclenché, il ne va plus y avoir d’eau. Il faut que ce lieu imagine des solidarités entre les populations, des solidarités pour survivre, pour manger, peut être qu’il faut se mettre à faire un grand jardin de légumes, de la récupération d’eau…Il faut vraiment que ce soit un centre qui pense à l’avenir, et à l’avenir vital. A mon avis le CCO va être un lieu central de tous ces échanges pour imaginer des choses dont on a pas l’habitude.

M-C : Pour moi, la priorité c’est que le CCO soit un lieu de concertation qui amène les gens à voir qu’il y a possibilité d’agir. En effet, il y a beaucoup de lieux où les discussions ne mènent nulle part.

C.F : C’est le passage délicat entre l’idée et l’action…

M-C : Dans les ateliers, par exemple, les gens me disent qu’ils ont perdu confiance en la politique. Ils viennent ici et n’ont pas vraiment conscience du pourquoi ils sont là.

A : Moi ça me fait peur, ça.

M-C : C’est l’idée de loisir culturel qui amène certaines personnes ici. Si on amène le loisir de manière intelligente, les gens sont concertés. Un vrai débat est alors possible.

Si la Rayonne était un animal, ce serait?

A : Je vois quelque chose de roux, avec une grande queue, un animal qui se faufile…

M-C : Moi je vois un kangourou, parce que ça saute, parce qu’il y a du vivant à l’intérieur et que c’est gai, ça rayonne,

Si la Rayonne était un personnage ou une célébrité :

M-C : Tu veux que je te dise franchement? Une mère ou un père de famille…Dans la symbolique traditionnelle, naturellement!

Un rêve pour la Rayonne?

A : Vivre ensemble pour survivre.

M-C : Que ça soit vraiment une passerelle entre les gens.

Propos recueillis par Céline Fabre, le 17 mai 2019