Céline Fabre, stagiaire au sein de la recherche-action Palimpseste, rencontre les membres de l’occupation temporaire au CCO La Rayonne. Cette série d’entretiens nous offre un aperçu des différentes personnalités qui fréquentent ce lieu atypique.

Léon a choisi d’être représenté par un corbeau. Les visages de la Rayonne peuvent avoir toutes les formes.

Après moult péripéties, je parviens à interviewer Léon, médiateur numérique au sein du CCO. Moi qui maîtrise mal les nouvelles technologies et les dessous de l’internet, je prends le temps de décortiquer avec lui ces outils qui ont envahi notre quotidien.

Céline Fabre : Parle-nous de toi, où es-tu né, qu’est-ce que tu as fait avant de venir travailler au CCO?

Léon : Je viens du graphisme à la base, du milieu de la publication, de l’édition. Je suis né en Turquie, puis j’ai vécu en banlieue parisienne pendant une dizaine d’années. Suite à différentes rencontres, j’ai obtenu le poste de médiateur numérique au sein du CCO, spécifique aux quartiers prioritaires de la ville.

C.F : Ça  consiste en quoi ce métier?

L : Faire le lien entre la partie technique et les personnes qui l’utilisent, qui n’ont pas forcément le jargon, le langage pour le saisir. On fait beaucoup d’ateliers où on essaye d’adopter une approche ludique pour démystifier le numérique et les nouvelles technologies. Il y a aussi l’enjeu de la citoyenneté : permettre à la population de se concerter, de créer des choses ensemble.

 

C.F : Tu organises des ateliers pour quels types de publics?

L : Des personnes très différentes. J’accompagne des adultes qui souhaitent naviguer sur internet ou manier des plateformes administratives. J’ai aussi des gens qui ne parlent pas la langue, des adultes réfugiés, des membres du CHU (Centre d’Hébergement d’Urgence, ndlr) d’à côté, du GEM envol (Groupe d’Entraide Mutuelle. Puis je m’occupe de jeunes de 8 à 13 ans, on travaille beaucoup sur les jeux pour qu’ils ne restent pas enfermés sur les jeux « mainstream », où il faut juste tirer sur des gens. Et enfin il y a les ados avec qui on a beaucoup filmé, on produira au moins une ou deux vidéos avec ce qui a été tourné.

 

C.F : Est-ce que tu as été formé pour la dimension pédagogique de ton métier?

L : J’avais déjà fait de la médiation avant. Après je ne suis pas prof, ce qui fait qu’avec les jeunes, j’ai acquis certaines compétences. Mais je suis partisan de l’éducation populaire donc ça me va parfaitement.

Les membres du CCO déjeunent, à la terrasse de la Rayonne

C.F : Quand est-ce que tu as découvert la Rayonne pour la première fois? Qu’est-ce que ça fait de travailler dans une friche?

L : Avant de bosser au CCO, j’ai découvert le lieu avec le festival Aventure Ordinaire, qui avait lieu là-bas. Puis je suis revenu en tant que professionnel, pour mes ateliers.

J’ai un espace que je suis en train d’installer, afin de monter un atelier de fabrication informatique de détournement, en lien avec la philosophie du hacking. Ca a déjà commencé, on est en train de prototyper. Sinon, le fait que ce soit une friche, qu’il y ait d’autres collectifs, c’est super. On a pas carte blanche mais presque. Ca me permet de récupérer beaucoup de matériel, de faire de l’économie circulaire.

C.F : Est-ce que le fait que ce soit un bâtiment historique ça a de l’importance pour toi?

L : Oui, c’est peut-être le plus important. Je suis quelqu’un de très sensible aux esprits. Pas aux esprits du style “film hollywoodien”, mais dans le sens où il y a des gens qui ont occupé ce bâtiment avant nous. Si on est là, je ne le vois pas comme un hasard mais parce qu’on a des choses à construire, surtout que le CCO a aussi une longue histoire. Je suis très content de porter la casquette non seulement technologique, (technique et donc artisanale), mais aussi pédagogique.

C.F : Quand on a eu l’occasion de discuter, j’ai pu remarquer que tu étais très conscient de la dimension politique d’internet, de son utilisation.

 L : Oui, cette réflexion a commencé par mon travail de graphiste, à un moment donné j’ai eu une remise en question, une réflexion autour de l’outil. Il y a un outil en place mais qu’est-ce que je connais de cet outil? Est-ce que c’est l’outil qui détermine ma création ou est-ce que c’est moi? Peu à peu, j’ai pris conscience de ce que le numérique apportait dans ma création, en rencontrant des communautés de logiciels libres.

C.F : Tu peux nous expliquer ce que tu entends par là?

L : Les logiciels libres se basent sur quatre libertés fondamentales:

  • La liberté d’exécuter un logiciel (sans licence d’activation : tu télécharges et tu l’utilises)
  • La liberté d’étudier, analyser ce qu’il y a dedans
  • La liberté de modifier
  • La liberté de diffuser, copier.

C’est de l’ordre du domaine public, tout simplement. Ce sont des principes qui peuvent s’appliquer pour plein d’autres choses, par exemple, les graines. Le fait qu’on puisse accéder et avoir le droit de planter n’importe quelle graine, de les multiplier, de les copier.

 

C.F : Est-ce que tu penses qu’il faut renier Google et Windows?

L : Je ne dirais pas renier, il faut être conscient de ce qu’on utilise, c’est tout. Je n’ai pas envie de rentrer dans des débats sans fin, pour moi c‘est du bon sens, étant donné qu’on sait comment ça fonctionne.

C.F : Justement, est-ce qu’on sait vraiment?

L : Et bien non, c’est pour ça que j’ai un événement à faire par mois, qui se passe à la Rayonne et qui a pour but d’informer. Cet agora est bien utilisé, même si ce n’est pas toujours évident. C’est comme la question du climat, quand tu n’as pas assez à manger tu ne vas pas t’intéresser au climat. Mais c’est quand même important de sensibiliser. Bien qu’on soit implanté dans les quartiers dits “prioritaires”, selon moi, tout le monde est concerné. Par exemple, je suis intervenu la semaine dernière dans le collège Lamartine, à coté de la Rayonne, où les parents et les enfants étaient présents. Le directeur a demandé une sensibilisation sur le thème de la dépendance aux écrans et aux réseaux sociaux. J’ai pu y intégrer les questions de logiciel libre, un historique sur l’ordinateur, internet. Je trouve ça important de remettre les choses dans leur contexte, parler juste de l’outil, à un moment c’est barbant.

C.F : Par exemple?

L : Quand je parle de l’informatique, je dis bien que dans les années 1960, on a fait la première démonstration d’ordinateur. Je parle de l’évolution de l’interaction entre les humains et les machines, d’abord le processeur, puis l’ordiphone (ordinateur qu’on a dans la poche) et maintenant le projet c’est de le mettre dans la tête.

Et puis internet, il faut rappeler qu’à la base, ça a été inventé par des hippies barbus. Ça a commencé par être un réseau entre 4 universités californiennes en 1968. Au bout de quelques mois il y avait déjà 213 terminaux connectés puis c’est arrivé en Europe en 1984. Il y avait la volonté de créer quelque chose d’indestructible, c’est important de comprendre comment ça a été réfléchi internet et pourquoi, aujourd’hui, on met en vigilance. Les principes de transparence, d’horizontalité, de décentralisation, ce sont des valeurs qui ont été réfléchies dès le début. Ça permet de faire un parallèle entre ce que ce que ca voulait être et ce que ça devient. Les gens comprennent très bien.

 

 

Si la Rayonne était un jeu vidéo?

Pour moi on serait un personnage qui découvre un univers dans chaque pièce, avec des énigmes. On utiliserait même les lieux auxquels on a pas le droit d’accéder actuellement, y compris les arbres, un peu comme dans Alice au pays des merveille. Le but serait d’essayer de comprendre le passé du lieu, en croisant les esprits des gens qui ont travaillé ici…

 

Si la Rayonne était un personnage fictif?

Ce serait une sorte de cyborg hybride. Entre la biodiversité, la vie et le robot.

Un rêve pour la Rayonne?

Que ça devienne une université populaire libre. La première université populaire libre.

Propos recueillis le 18/04