Une écriture de l’histoire du quartier de la Soie, de façon collective, située et en 3 dimensions

Article 3/3 : Entretien avec Fabien Pinaroli, David Wolle et quelques participants

Comment s’active
« TimeLine au nord du futur »?

>>> Cliquez ici pour voir TimeLine dans sa version actuelle (au 20 mai 2020) <<<

 

David Wolle :

Aujourd’hui sont disposées sur cette bande étroite des volumes et des objets, des textes et des vidéos. C’est une installation d’art contemporain qui peut être visitée, activée par le public, il y a une feuille de salle et un livret de médiation. L’équipe du service culturel du CCO peut faire visiter l’œuvre à qui est intéressé. Le public peut faire des actions pour revivre certains moment historiques, se baigner dans la lumière de l’eau du Rhône, retourner un drapeau français en 1945 pour faire apparaître un drapeau Viet-Minh (déclaration d’indépendance de la République démocratique du Vietnam) ou jouer aux cartes des femmes remarquables. Peut-être qu’il pourra faire quelque chose pour la planète si nous travaillons bien la dernière période 2006-2020.

L’installation TimeLine « au nord du futur » est un chantier constant. Tout n’est pas encore mis en place définitivement. Les membres du groupe font des recherches, d’abord ensemble, puis chacun de son côté. Chaque semaine nous avons  une séance de deux à trois, heures (quatre s’il le faut) : au programme, réflexion, mis en commun, discussions. Elle sont en général très amicales mais peuvent aussi être houleuses parfois. Cela dépend des sujets abordés. Pour rythmer le temps de deux ans de résidence et pour faire avancer notre travail concrètement, la moitié du temps est dédié à la construction et aux performances.

En octobre, à la biennale d’art contemporain, nous avons proposé la performance « TimeLine — amender le nord du futur » et l’avons réalisée aux usines Fagor-Brandt, lors de la biennale d’art contemporain de Lyon. C’était à la fin du séminaire « Art (ou Arts) de chercher… » organisé par l’Université de Lyon sur la relation entre recherche, artistes et création. Pendant la performance, nous demandions à ce public (des chercheurs et des artistes) d’amender notre récit historique à la manière de manifestants, avec des pancartes blanches fournies. Nous avions préalablement transformé ce récit en un grand dessin que nous avions préalablement commenté. Placés devant ce grand dessin mural, 24 « manifestants »  sont venus revendiquer un personnage ou un événement avec une date. Ils se sont donc placés avec leurs pancartes devant notre récit dessiné et ils formaient une ligne parallèle et alternative au récit que nous proposions.

Le public de la performance « Amender le nord du futur » en train d’écrire les amendements.
© Zacharie Gaudrillot-Roy

Autre exemple d’activation : pendant deux mois nous avons commémoré la conquête spaciale ! Tout commence sur le marché aux puces à Vaulx-en-Velin en février 2019 où nous trouvons et achetons une petite pépite : une crêpière de la marque ”Sympa“ fabriquée à Lyon (design années 1970 et allures de soucoupe volante orange). Cette crêpière était formidable ! Elle rassemblait l’univers de la crêpe et l’univers de la conquête spatiale des années 1970. Ça nous a fait penser à une planche de Franquin dans laquelle Gaston Lagaffe fait sauter une crêpe, elle se retrouve sur un photocopieur et se transforme en Lune : http://bardablog.centerblog.net/6577467-gaston

Ce jour là, on a décidé de réfléchir à une performance commémorative avec cette crêpière et Gaston nous orientait vers une date évidente, celle le premier pas sur la Lune en 1969. En fin de compte, on a fait pas mal de détours pour cette commémoration car un autre élément, cette fois-ci en lien avec le quartier est venu s’ajouter à notre réflexion. Dans le Carré de Soie, les noms des rues sont des hommages à des femmes oubliées de l’histoire. La performance pouvait alors concerner des femmes remarquables et il serait ainsi possible pour le public, tout en mangeant sa crêpe (sortie d’une crêpière-vaisseau-spatial), de cartographier une crèpe-lune (sortie du photocopieur), pour en nommer un cratère, une mer ou une montagne du nom d’une femme remarquable et oubliée.
J’en parlais un jour à Marie-Christine.

Marie-Christine Duvivier :

Oui, et j’ai sorti – c’était un pur hasard de l’avoir dans mon sac ce jour là – le jeux de carte des 7 familles édité par l’association Si/si les femmes existent, le jeu des femmes remarquables. Ce jeux a pour but la lutte contre les discriminations faites aux femmes dans les représentations sociales et la mémoire collective, la familiarisation avec des femmes remarquables souvent méconnues, la proposition aux filles comme aux garçons de modèles positifs et inspirants, l’élargissement du champ de la culture générale, l’ouverture à l’autre. J’ai pris ces informations sur leur site : https://www.sisilesfemmes.fr/nos-jeux-de-7-familles/jeu-de-7-familles-femmes-remarquables/

Fabien Pinaroli :

Le soir même, Mourad me faisait remarquer qu’il n’y avait que deux femmes de couleur noire sur les 42 du jeux : Marian Anderson (1897-1993, première femme afro-américaine à chanter au métropolitain) et Bessie Coleman (1892-1926, première femme afro-américaine et amérindienne à détenir une licence de pilote en 1921). Cela faisait peu en effet. Je lui proposais de créer une famille qui pourrait augmenter le jeux de Si/si. Et nous avons travaillé ce soir là à une première mouture de cette famille qui était celle des « femmes de ». Mourad voulait signifier que derrière chaque homme politique – par exemple Nelson Mandela et Mao Zedong – il y a une femme de pouvoir et que celle-ci est souvent oubliée.

Mourad montre une des 2 cartes du jeux des femmes remarquable d’origine Afro-Américaine dans le jeu de Si/si les femmes existent.

Marie-Christine :

C’est des échanges qui ont suivis et en particulier de la réaction enthousiaste de Omar qui a tout de suite proposé de créer, non pas une famille à rajouter au jeu mais un deuxième jeu. Un jeu « au nord du futur ». Celui-ci contiendrait une meilleure diversité mondiale, féminine, oubliée par la pression du colonialisme d’alors et le néo-colonialisme d’aujourd’hui.

Fabien :

Donc nous avons tout d’abord créé ce jeu « au nord du futur » pour lequel chaque participant au projet a créé une famille de six femmes (« les guerrières » par Farida, « les militantes et les écologistes » par Florence, « les chanteuses » par Omar, « les oubliées » par Marie-Christine, « les femmes de fer » par Mourad, « les sportives » par Christian et les «  féministes et libertaires » par moi). Le principe de ce jeux était de faire le tour de monde et d’avoir toutes les couleurs de peau.

Pendant la performance, Omar explique à une personne du public le principe du jeu.
© Zacharie Gaudrillot-Roy

Le 16 janvier 2020, au CCO, le public était convié à la performance «Goûter Cartographique de la crèpe-lune». Nous l’avons invité à jouer aux 2 jeux des 7 familles «au nord du futur» et «Femmes remarquables» de Si/si les femmes existent pour prendre connaissance de plus de 80 femmes remarquables et oubliées de l’histoire. En même temps, chacun se voyait offrir une crêpe dont il a pu admirer le caractère lunaire (car transformée en Lune par une photographie et un tirage papier). Puis nous lui demandions de repérer sur la face lunaire de sa crêpe, un cratère, une montagne ou un océan. Ensuite il était libre de le nommer du nom d’une femme remarquable de sa connaissance ou découvert en jouant. Ces documents annotés par le public ont été transformés en un livre d’artistes : un petit livre blanc que nous avons remis au Maire de Villeurbanne avec des propositions de noms :

– le passage Warda Al Jazaira,
– le champ Mercedes Soza,
– le parc Miriam Makéba,
– le square d’Afrique,
– la descente Louise de Savoie
– la place Judith Butler,
– la rue Greta Thunberg,
– la place Nina Simone,
– le passage Emma Goldmann,
– le jardin Sophie Scholl,
– le cours Jaïda (ma mère)
– la montée de l’écologie,
– la rue Jane Goodall
– le chemin Andrée Chedid
– le passage Vandana Shiva,
– le pont Dorothea Lange,
– le chemin Wilma Rudolphe,
– l’allée Lala Fatma N’Soumer,
– le parc Mickey et Minie (la femme en détresse).

   Petit livre blanc d’artistes « au nord du futur » (un leporello) : bande de 2,60 mètres pliée en accordéon, 48 pages.

 

David :

Voila, nous venons de décrire deux façons d’activer la TimeLine avec des performances.

Mais il y en a d’autres.  Certaines parties de l’installation sont activables et praticables par le public.
Dans la période de débordement du Rhône on peut s’assoir sur un panier de pêcheur et jouer avec un jeux de projections d’ombres et de lumières. On peut grimper sur le monumental Joseph Gillet dont l’ascension a été vertigineuse. Certains objets sont préhensibles et retournables comme un drapeau qui est Français ou Viêt-Minh selon le choix de la personne qui pénétre dans l’étoile à la mémoire des indochinois. Le public peut rejouer certains moments historiques. Le jeux des 7 familles « au nord du futur » est maintenant dans l’installation et le public peut jouer le temps d’une partie. Il peut ainsi apprendre quelques noms et faits de ces femmes remarquables.

La dernière partie de notre installation n’est pas encore fabriquée mais elle concernera l’époque actuelle avec l’urbanisation du quartier et les questions environnementales déplorables dans lesquelles nous sommes enlisés. De quelle façon le public pourra activer cette partie ? Nous ne le savons pas encore.

 

Performance “Goûter Cartographique de la Crèpe-Lune”, (14 janvier 2020 au CCO La Rayonne)

 


Participants au projet : Christian Couzinou, Marie-Christine Duvivier, Lilie Fréchuret, Omar Haimer et ses deux fils, Hadj & Abdelmalek, Mourad Hamouda, Farida Hasnaoui, Zoé Martin.
Avec la contribution de Florence Leray.

Une co-production CCO Villeurbanne et ainsi parlait. Avec le soutien de la DRAC AURA, de la Région Auvergne – Rhône-Alpes et de la Ville de Villeurbanne.

>>><<<

Article 1/3 :

Quel contexte pour la TimeLine au CCO La Rayonne ?

Article 2/3 :

Quelle évolution de la TimeLine depuis mai 2019 ?

 

 

© Photos Fabien Pinaroli sauf indication