Dans le cadre de l’acte III de la démarche Palimpseste dédié au temps du chantier, nous sommes partis à la rencontre des habitants du quartier et de leurs histoires, anecdotes, et souvenirs des temps passés.

Difficile d’ignorer ce qui se cache derrière cette maison ouvrière aux volets fermés, et aux bandes de peinture violette dont l’inscription dévoile les mots : “Tapisserie, Voilages, Décoration”. Au coin de la rue de la Poudrette et de la rue Alfred de Musset, la “maison du tapissier”, telle qu’on la surnomme, se dresse dans toute sa splendeur, reflétant l’âme du quartier dont elle partage l’histoire depuis 1920. 

Gérard Guillemier y déménage avec ses parents et sa soeur en 1963, puis l’occupe avec sa femme et ses quatre filles. Il vit désormais seul dans cette maison qui sera au cœur du futur projet urbain de l’Autre Soie, un lieu chargé de souvenirs et d’histoires où ont défilé près de quatre générations de la même famille.

Né en 1948 d’un père tapissier et d’une mère couturière, Gérard a toujours vécu dans le quartier de la Soie. Ses parents repèrent la maison lors de leurs habituelles rondes dans le quartier pour confectionner des matelas aux habitants, la charrette à bois et la cardeuse manuelle à faire la laine sous le bras. La famille loue dans un premier temps à Rhône Poulenc, une usine de fabrication de textile qui logeait ses ouvriers dans les maisons aux alentours, puis finit par acheter les deux appartements et magasins. Ils installent leurs activités au rez-de-chaussé, auparavant occupé par une boucherie/charcuterie.

“Un jour, l’arrière petit fils des gérants bouchers de l’époque est venu me voir au magasin. Je lui ai montré une vieille photo que j’avais de la maison. On y voyait sa famille devant le magasin, terre battue au sol, et les arbres qui font maintenant trois mètres venaient d’être plantés. Quand il a vu la photo, le monsieur pleurait”.

Gérard grandit ainsi dans cette maison. A 15 ans, il se destine au métier de tapissier à son tour et s’oppose à son père qui voulait le voir plombier. Il commence son apprentissage chez un tapissier décorateur à côté de la cathédrale Saint-Jean. Les clients sont aisés et il apprend à remettre en état des fauteuils d’époque. Après trois années, il passe son Certificat d’Aptitude Professionnelle et rejoint l’entreprise familiale. Sa mère lui enseigne la couture à la machine, le voilage, l’installation de rideaux… “Dix ans, c’est le temps qu’il faut pour apprendre un métier” nous dit-il. Après un passage à l’armée pendant 18 mois dans la section parachutiste aéroportée de Pau, Gérard reprend ses activités de tapissier et acquiert lentement les savoir-faire de ses parents pour perfectionner sa technique.

“Avec mon père, quand on faisait une série de chaises, on se mettait dans deux pièces différentes sans regarder le travail de l’autre, à la fin elles étaient identiques, comme si c’était la même personne qu’il les avait faites.”

Pour Gérard, la tapisserie est un métier de passion : “J’ai le coeur à y faire correctement et à redonner vie à cette chose”, nous explique t-il. Une passion que nous découvrons en entrant dans ce qui a été son atelier pendant près de quarante ans. L’atmosphère est unique, mélange d’antiquités et de simples objets en tout genre qui, en traversant les âges, sont devenus trésors et dont l’assemblage fait sourire. Un mur de cartes postales envoyées par des amis des quatre coins du monde, un scrabble glissé entre deux livres poussiéreux, une machine à coudre pour enfant transformée en lampe de chevet, des carcasses de fauteuils, des tissus colorés… Sur les murs, des dessins d’enfants et des traits de mesure, marques des années qui passent et des dents qui poussent.

Alors qu’il a pris sa retraite en 2018, Gérard reçoit encore des appels de ses anciens clients pour redonner vie à des fournitures qu’il avait confectionnées des dizaines d’années auparavant. Aujourd’hui, il nous explique que le métier de tapissier a beaucoup évolué avec le temps : 

“Il y a du changement, surtout au niveau des matériaux. Dans le temps, quand on faisait un fauteuil on utilisait du crin, de la laine, aujourd’hui, ils mettent des sangles élastiques et de la mousse et le vendent au même prix”.

Il met maintenant à profit son expérience de tapissier et son temps pour ses quatre filles et ses dix petits-enfants. Sans regret, il a quitté le quartier en décembre pour un petit appartement avec jardin dans lequel il pourra les accueillir. Gérard promet tout de même de revenir voir si le caractère spécial de cette maison, désormais classée Monument Historique, sera conservé dans le nouveau projet. Une page se tourne et laisse place à l’infini des possibles…

Crédit photos : Lionel Rault