L’implantation du CAO dans la ville de Villeurbanne est « très facilitante »  (extrait d’un entretien avec une professionnelle du CAO) par rapport à d’autres foyers qui sont situés dans des zones rurales ou en périphérie avec un difficile accès aux axes principaux de transports en commun qui facilitent l’insertion dans la société française. « Ça évite qu’il y ait un isolement qui s’installe, ça permet d’amorcer l’insertion dans la société française, ça offre des possibilités » la professionnelle en est convaincue. Le quartier est très bien desservi et il présente un riche accès aux services publics. Le placement à la frontière entre de deux communes ne semble pas poser de problème aux hébergés puisqu’ils ne vivent pas le quartier, sauf pour rejoindre la zone du Carré de Soie qui offre des services et des loisirs, notamment des lieux où ils peuvent se poser gratuitement pour avoir l’accès au Free Wifi.

Le territoire villeurbannais se présent comme le lieu d’ancrage de l’association Forum réfugiés – Cosi. Villeurbanne accueille aussi des nombreux centres d’accueil, notamment trois CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) et un centre de transit.  Tout cela nous laisse imaginer qu’il s’agit d’une ville très ouverte à l’accueil des migrants. D’ailleurs, c’est ce que le maire Jean Paul Bert disait dans une interview pour France 3 en 2015 « Je suis fier qu’on puisse avoir une démarche de solidarité (…) C’est aussi un honneur pour une ville comme la nôtre qui a accueilli tout au long de son histoire des populations venues d’ailleurs ». Une affirmation qui est toujours d’actualité, et qui a été répété lors de la journée des rencontres du Carré de Soie, le 8 avril 2017 dans le parc de l’IUFM, où était présent le CCO, le CAO et ses hébergés. La ville de Villeurbanne s’est construite avec l’arrivée des populations venues du monde entier, « le thème de l’exil est forcément présent. Pour beaucoup, la ville (de Villeurbanne) a signifié le bout du voyage, le début de la reconstruction. Un endroit où recommencer. » (Gras, 2007).

Il est aussi vrai qu’en opposition à cet emplacement bien connecté au centre-ville, il y a l’absence d’une vie de quartier qui empêche une intégration à échelle locale des hébergés du centre. « C’est un quartier mais il n’y a pas vraiment une vie de quartier et je trouve dommage que tous les demandeurs d’asile, la plus part, qui ne sont pas inscrits dans la vie du quartier où ils peuvent aller facilement à la rencontre de l’autre, aller acheter leur pain dans une boulangerie et non pas dans une supérette entendre parler français ou demander une baguette… » (extrait d’un entretien avec une professionnelle du CAO). C’est un secteur isolé mis à part la présence du métro et du centre de loisirs Carré de Soie où le seul intérêt pour les hébergés est celui du Free Wifi, pour certains celui de prendre un café, tout en restant de l’ordre de l’exceptionnel. C’est ce qui transparait des mots de I. lors d’un entretien avec Marina Chauliac. Pour lui, un centre commercial, qui devrait être a priori un lieu de sociabilité, ne représente pas du tout un lieu d’intégration sociale, du moins pour les migrants. Au contraire, il s’agit d’un lieu d’isolement où le seul lien de sociabilité reste celui avec « là-bas », un lieu qui donne l’opportunité d’appeler ses proches qui sont restés au pays.  Le centre commercial devient donc un prisme pour garder vifs les liens là-bas.

Malgré la présence du pôle commerciale et de transports en commun, l’implantation du foyer reste un sujet sensible. « C’est un quartier assez mort » dit une professionnelle du CAO. Il est vrai que si l’on bouge un peu, il y a une boulangerie et une école « c’est un peu plus dynamique ». « Ici, il y a notre dame des sans-abris des gens en exclusion sociale ». L’emplacement au-delà du périphérique, n’est pas uniquement le cas du CAO, c’est aussi la réalité de beaucoup d’autres centres.

Le périphérique opère comme une frontière spatiale. « Tu es au-delà de la ville, au-delà de la cité, nous on est Villeurbanne mais on est Villeurbanne au-delà du périf… comme si on n’existait pas vraiment » (extrait d’un entretien avec une professionnelle du CAO). Si cette implantation peut être, d’un côté positive, puisque relativement proche du centre-ville, bien connecté par le réseau TCL, elle peut se révéler aussi négative, avec l’image qu’elle peut renvoyer aux hébergés de la société d’accueil. Certaines personnes de l’équipe se demandent « Qu’est qu’on renvoie aux demandeurs d’asile en termes d’intégration, d’implantation ? ». Le périphérique opère comme une frontière. « Les déplacés de l’exil intérieur rejoignent les exilés de la ville. (…) Rencontre entre les ˝locaux˝ maintenus aux marges de la ville (…) et les autres étrangers, migrants ou réfugiés venus d’ailleurs et confinés dans une limite qui s’élargit tout juste assez pour faire de l’exil un long couloir » (Agier, 2011 : 73).

Plus j’ai passé du temps avec les « hébergés », plus je me suis rendue compte que ce n’était pas l’implantation qui posait un problème, parce qu’étant un public de jeunes hommes seuls, ils apprenaient vite à bouger et même si certains se perdaient, ils avaient tous une stratégie pour retourner sur leurs pas. Ce qui présentait une difficulté pour eux c’était plutôt le foyer en lui-même, cet endroit partagé et sans âme.

L.B