Thomas Arnera, doctorant en sociologie et membre du Comité Scientifique de Palimpseste, s’immerge depuis deux ans dans l’occupation temporaire de l’Autre Soie. Dans le cadre du projet Memento, il interroge les pratiques et les usages de cet espace en transition. Au cœur de sa recherche, la question de l’archive et les enjeux de mémoire de ce lieu qui a vocation à être transformé. En effet, depuis fin octobre, l’Autre Soie est désormais entrée dans une nouvelle phase de recomposition, de reconstruction et de destruction du tissu social et bâti, le temps du chantier. Le bâtiment patrimonial est désormais fermé au public et les travaux débuteront début 2021. Ses permanences à l’Autre Soie ont fait surgir de nouvelles problématiques et perspectives à approfondir sur la notion d’archive. Il nous fait part de ses premières réflexions.

Qu’est-ce qu’une archive ?

Le code du Patrimoine nous livre une définition exhaustive de l’archive : 

 « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. »

                                                                                           Article 211-1 du Code du Patrimoine

Lorsque l’on pense au terme « archive », il fait la plupart du temps référence à de vieux documents ou papiers laissés pour mort dans des boîtes en carton poussiéreuses. Pourtant, l’archive est bien plus complexe qu’il n’y paraît. C’est une superposition ou un assemblage de matières, de sentiments, d’expériences, de mouvements, d’intentions qui communiquent avec le temps.

Une co-construction avec le temps

L’archive se pense à travers différentes temporalités : les présents passés, les présents immédiats, les présents à venir. Elle est ainsi « co-construite avec le temps ». Lorsqu’une personne décide d’archiver dans un temps présent, elle interroge sa trace dans le futur. Ainsi, l’archive sous-entend une mise en relation avec le temps qui nous entoure et une réflexion sur ce qui nous succèdera après la mort. C’est une machine à voyager dans le temps et dans l’espace du monde. Un voyage qui est offert certes, mais conditionné par la personne qui en est à l’origine.

Archiver, un acte conscient

En effet, l’archive n’existe qu’à travers un geste humain. L’archivage revêt des formes variées et se fait souvent de manière inconsciente. Pourtant, archiver, c’est choisir, et ainsi laisser échapper une partie de ce qui se passe. Comprendre le pouvoir puissant de l’archive pour écrire sa trace dans le temps revient à s’emparer de sa propre histoire, et ne pas laisser les autres la raconter. C’est un pouvoir d’agir, qui peut avoir une dimension politique, sociale et historique forte. Le droit d’archiver doit appartenir à tout le monde et il est nécessaire d’en prendre conscience pour saisir pleinement son impact sur le temps qui passe.

L’Autre Soie, une archive vivante

 Mais archiver n’est pas sans risques. Enfermer dans une boîte en carton la matière finement sélectionnée, c’est aussi la figer dans le temps et dans une certaine représentation du monde, et ainsi « maintenir sous perfusion la mémoire ». Il faut parfois faire l’effort d’accepter notre défaillance face à la mort. Justement, une occupation temporaire donne à exister l’espace à travers de nouveaux usages. Les usages actuels réinvestissent ainsi les mémoires vives à travers de nouvelles manières d’occuper et de faire. C’est une forme d’honnêteté vis-à-vis de l’oubli et de la mort. L’Autre Soie conserve l’histoire du quartier tout en écrivant de nouveaux possibles au temps présent et les fait s’entrechoquer collectivement, elle devient de ce fait une archive vivante.

Et pour la suite ?

 La fin de l’acte II de l’Autre Soie ne marque pas l’achèvement du travail de Thomas. Au contraire, l’acte III va ouvrir de nouvelles possibilités pour mettre du sens dans ce qui fait archive. La « cabane de chantier », un « centre d’archives sauvages » que souhaite installer Thomas, sera un lieu symbolique important pour saisir le chantier dans toutes ses dimensions. Nous avons hâte de découvrir le projet.